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Témoignage au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord – Étude de la politique de la prévention et gestion des manquements

Témoignage au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord – Étude de la politique de la prévention et gestion des manquements

Au début avril, Wendy Harris (présidente et directrice générale) a témoigné devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord (INAN) au sujet de l’étude sur la Politique de la prévention et gestion des manquements. Voici une copie pleine de la temoignage.


 

Madame la Présidente du Comité, je vous remercie ainsi que les membres honorables du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, de nous avoir invités à être présents ici aujourd’hui. Nous sommes heureux de participer et de pouvoir apporter notre point de vue sur l’étude de la politique de la prévention et gestion des manquements.

Depuis 50 ans, SACO opère dans plusieurs pays dans le monde ainsi qu’à travers le Canada en partenariat avec des communautés autochtones. De par notre travail, autant dans le contexte national qu’international, nous dégageons des apprentissages clés et meilleures pratiques et sommes à même d’apporter une perspective unique à l’étude sur la politique de la prévention et gestion des manquements.

SACO est une organisation à but non-lucratif de développement économique international fonctionnant à travers l’envoi de volontaires. Nous croyons fermement qu’une infrastructure économique solide est un élément essentiel pour provoquer des changements durables à la fois économiques et sociaux, y compris l’éradication de la pauvreté.

Pour SACO, le concept « d’infrastructure économique » comporte deux volets importants. Le premier concerne le soutien au développement du secteur privé et plus particulièrement des micros, petites et moyennes entreprises (PME), qui sont les principaux moteurs de toute économie, que soit une économie en développement, émergente ou ayant atteint la maturité. Les PME jouent un rôle unique et important dans le taux de croissance économique et, selon les Nations Unies, représentent deux nouveaux emplois sur trois dans le monde entier. Nous savons que les PME appartenant à des Autochtones augmentent à un rythme six fois plus rapide que celles des Canadiens non autochtones. Combinées à une croissance démographique importante chez les jeunes autochtones, ces tendances indiquent un énorme potentiel de croissance économique pour les communautés autochtones et pour l’économie canadienne en général dans les années à venir.

Le deuxième volet d’une forte infrastructure économique concerne la création d’un environnement inclusif et favorable à la croissance du secteur privé. Ceci signifie qu’il se doit de renforcer la gestion et la gouvernance des institutions, qu’il s’agisse de conseils de bande ou de tribus, d’associations commerciales ou industrielles, d’organisations de la société civile ou de coopératives. De notre expérience, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde, la gouvernance de qualité est toujours un indicateur majeur pour savoir si le développement économique, et par le fait même le développement social, sera réussi et durable. Par «qualité», je veux dire la capacité à gérer, planifier et exécuter efficacement les priorités complexes d’une communauté donnée de manière holistique menant à la prospérité. Lorsque les capacités de gouvernance sont solides et inclusives, il est possible d’investir et de réinvestir à la fois dans les programmes sociaux et économiques. C’est de cette façon, selon notre expérience, que l’on peut atteindre la stabilité économique au fil du temps.

Quel que soit le lieu où nous travaillons, notre objectif principal est toujours le renforcement des capacités. Un aspect non-négociable de notre approche est que notre travail soit toujours mené selon les priorités locales. Cette approche est entièrement orientée envers le renforcement des compétences et de l’expérience de nos clients et partenaires en vue d’appuyer leurs objectifs et priorités. Nos experts volontaires transfèrent leurs connaissances et compétences à nos clients, qui développent ainsi les outils nécessaires afin de devenir non seulement les responsables, mais aussi les co-créateurs de leur prospérité et de leur stabilité à long terme. Cette approche favorise l’autonomie et la résilience même après que notre travail soit terminé.

La politique de la prévention et gestion des manquements est un outil utilisé par le gouvernement canadien pour éviter l’aggravation d’une situation financière. Elle a pour but de remettre une collectivité donnée sur les rails en matière d’information financière afin qu’elle puisse continuer de recevoir des fonds. Je vais laisser à d’autres le soin de déterminer si la politique réussit à atteindre cet objectif. Ce dont je souhaite parler aujourd’hui devant le Comité permanent est plutôt de la lacune que je constate et qu’il est possible de combler dès les premiers signaux d’alerte, avant même de faire appliquer la politique. Cette lacune se trouve au niveau du renforcement des capacités.

La politique actuelle ne réussit pas à favoriser le développement des capacités d’une communauté, que ce soit de manière proactives dès les premiers signaux d’alerte mentionnés ci-dessus, ou une fois que la communauté est cogérée ou gérée par un tiers. Les séquestres-administrateurs ne sont pas chargés de développer de telles compétences et connaissances. Ils sont plutôt mandatés de se rendre sur place et d’enrayer l’hémorragie. Cependant, d’après notre longue expérience en développement économique au Canada et à travers le monde, la seule façon d’opérer un changement durable est de renforcer les capacités locales. Si les connaissances, l’expérience et les compétences ne sont pas assimilées au sein de la communauté et par les personnes qui en sont réellement responsables, le cycle de crise continue. Il convient donc d’axer les efforts sur la libération du potentiel local et le renforcement des capacités afin d’assurer que les solutions envisagées soient réalisables et durables. Cette approche garantit une stratégie ascendante qui favorise l’autonomie et réduit la dépendance, une stratégie qui ne remplace jamais les ressources locales, mais les met plutôt en valeur. Tant que cette politique ou une autre ne permettra pas de mieux combler cette lacune, il faudra recourir à l’outil d’intervention beaucoup plus souvent et plus longtemps que nous le souhaiterions.

Nous recommandons donc que, dès l’apparition des premiers signes de risques financiers ou de détérioration financière, « l’intervention » cible plutôt le renforcement des capacités de la communauté grâce à de la formation et du mentorat, ce qui permettrait d’éviter de façon proactive le recours à une cogestion ou à une gestion par un tiers.

Une fois que l’organe directeur de la communauté aura développé une solide capacité de gestion financière et de gouvernance, il sera en mesure de commencer à planifier et d’assurer une prévisibilité et une stabilité économique à long terme. La communauté pourra également commencer à participer efficacement à l’économie générale. Plus les capacités de gouvernance sont fortes, plus la capacité d’un individu, d’une communauté, d’un pays ou d’une région (dans le cadre de notre travail à l’international) à développer et renforcer des initiatives sociales et économiques critiques est importante. Sur le plan international, par exemple, notre travail de renforcement des capacités locales en fiscalité et vérification montre clairement le lien entre celui-ci et la capacité d’investir durablement dans la croissance ou la programmation économique et sociale.

La fiscalité et les pratiques saines en matière de vérification financière jouent un rôle important dans l’avancement du développement durable, non seulement du point de vue du réinvestissement, mais aussi de la responsabilité réglementaire et de la transparence. Toutefois, nos clients et partenaires sont souvent confrontés à des barrières et défis multiples dans le développement de leurs capacités en ce qui a trait à ces domaines. Le répertoire de conseillers volontaires de SACO contient plusieurs experts en fiscalité et en finances qui amènent leurs connaissances et leur expertise (et par extension, l’expertise des institutions fiscales et réglementaires canadiennes) afin de supporter le développement des capacités des partenaires et des clients. Ce développement des capacités se répand alors à travers la communauté ou le pays de différentes façons, menant à un environnement plus résilient et adaptable pour que les communautés et les individus puissent prospérer.

Le rôle que SACO peut jouer dans la prévention de la gestion des manquements consiste premièrement à travailler en partenariat avec les communautés afin de préparer leur implication dans des opportunités économiques. Nous travaillons étroitement avec les communautés pour bâtir de solides assises telles que la bonne gouvernance, le développement du leadership, la gestion financière et la gérance, la gestion des ressources humaines, la planification stratégique et plusieurs autres, tous des éléments essentiels à la réussite du développement de la stabilité économique et de la résilience à long terme. Nous travaillons également avec des propriétaires de petites entreprises et des entrepreneurs dans les divers domaines de compétences et de capacités dont ils ont besoin pour faire croître leur entreprise avec succès, créant ainsi d’importantes sources autonomes de revenus.

Deuxièmement, SACO peut jouer un rôle complémentaire en travaillant en collaboration ou en parallèle avec des organisations autochtones telles que le CGFPN, l’AFOA et l’ANSAF. Il est important de souligner que nous ne sommes pas une alternative à ces organisations, mais que nous complémentons plutôt leurs objectifs. Nous agissons à titre de partenaire permettant de concrétiser le développement des capacités requises pour obtenir une certification et, ultimement, accéder aux marchés de capitaux, qui offrent aux communautés de réelles chances d’enclencher des changements transformateurs.

En conclusion, nous maintenons fermement que la politique actuelle sur la prévention de la gestion des manquements ne répond pas au manque de capacités de gouvernance et de gestion financière au sein des communautés, manque qui représente pourtant une cause fondamentale de la nécessité d’intervenir. Nous voyons ces deux champs de compétences comme étant les pierres d’assise d’une infrastructure économique solide, qui à son tour est nécessaire pour qu’une communauté puisse développer des initiatives économiques et sociales supportant sa prospérité et sa stabilité. Notre recommandation principale est que l’investissement en développement des capacités des communautés avant même que la politique sur la prévention de la gestion des manquements soit évoquée devienne une priorité majeure. Ainsi, nous réduirons de façon proactive les besoins pour une telle politique d’intervention, ce qui ouvrira la voie à une croissance économique et sociale autonome et à long-terme et créera les conditions nécessaires à la véritable réconciliation.

Nous vous remercions de nous avoir invités aujourd’hui à partager notre point de vue et il nous fera plaisir de répondre à vos questions.