Ma première affectation de SACO – souvenir du Guyana
Je descends de l’avion Air Services (cinq passagers plus pilote) à Lethem. Mon contact pour l’affectation m’attend à mon arrivée.
Welcome, dit-il.
Thank you, je réponds.
Welcome, répète-t-il.
Thank you, je réitère.
Et on répète une fois de plus. Finalement, je réalise qu’il y a un autre mot devant Welcome, et que ce mot est « Roldan ». Il ne me souhaitait pas la bienvenue, il me disait son nom : Roldan Welcome!
Je serai conseiller auprès de la Chambre de commerce et d’industrie du Rupununi, à Lethem, la plus grande ville dans la haute savane du Guyana. Mon affectation m’amènera dans différentes collectivités autochtones, dont Surama dans le nord (un centre de villégiature bien établi) et le village administratif d’Aishalton dans le sud, une municipalité qui a reçu son tout premier téléphone exactement un mois auparavant!
Les espaces de savane sont magnifiques, bordés d’un côté par les montagnes Kanuku. L’exploitation bovine se pratique à grande échelle ici, et en fait, le plus grand ranch non clôturé du monde (Dadanawa) se trouve ici. Le genre d’espace où Dieu choisirait pour son club de loisir, s’il en voulait un! Et cet air délicieux… Dans les 48 heures qui ont précédé, je suis passé d’une tempête de glace qui a causé la plus longue fermeture de l’aéroport de Toronto à la canicule écrasante de Georgetown. Par comparaison, ici c’est le paradis!
La première collectivité que je visiterai s’appelle Moco-Moco. Je ne sais pas encore comment je m’y rendrai, puisque les transports sont toujours incertains dans le Rupununi. Le seul moyen de transport de Roldan Welcome est un vélo à une pédale. Pas facile à utiliser! Mais Roldan m’a révélé la clé de la réussite dans le Rupununi, une clé qui se résume en un mot : flexibilité.
Le matin venu, on se rend au benab à Saint-Ignace. Là, j’apprends que nous nous rendrons à Moco-Moco dans la remorque du tracteur communautaire. Le voyage prendra plus d’une heure sur le petit chemin à deux voies, à une vitesse d’un peu plus de 3 km/h!
Je réalise éventuellement que la discussion entre le toshao (chef) et les autres porte sur moi. Ils se demandent si l’Occidental d’un certain âge (et sans doute quelque peu décrépit?) sera en mesure de grimper dans la remorque. En un bond, je suis sur la remorque, et nous partons. Plus ou moins. Nous avançons si lentement qu’à un moment, nous nous faisons doubler par deux jeunes filles à vélo qui montent sur le remblai gazonneux en bordure de route pour nous dépasser. Le sourire aux lèvres.
Les reins quelque peu secoués, nous arrivons au village de murs d’adobe et de toits de chaume, une grosse vingtaine de maisons parsemées dans le paysage idyllique.
Sous l’abri de cuisine, je suis captivé par le spectacle des femmes affairées à la préparation du repas. Le délicieux pain de manioc qu’elles préparent en faisant passer la pulpe du manioc dans un matapee, puisqu’elle peut causer l’empoisonnement si elle n’est pas cuite. Le pain est ensuite séché au soleil sur des feuilles de bananier. Je les regarde préparer leur mets traditionnel, le pot au poivre. Il comprend de la « viande des bois », un animal dont les crânes décolorés décorent les poutres de la maison. Aucune idée de quoi il s’agit, mais possiblement un tatou? Les femmes préparent également du casiri, un plat à base de pommes de terre.
Bien approvisionnés, nous partons pour les chutes Matapee. Le village au complet participe à l’expédition, et les jeunes filles nous font grâce d’une cacophonie de ricanements. Nous marchons en file indienne. À un moment, la jeune fille devant moi ramasse un bâton par terre, le balaie d’une main au-dessus de sa tête, puis le relâche immédiatement pour attraper un objet tombé d’un arbre. Toute la grâce d’une ballerine! Elle me montre un fruit rouge en forme de poivron. Un fruit de cajou, mon tout premier. La noix de cajou s’enroule autour de la tige au-dessus du fruit. Elle mord dans le fruit avant de me l’offrir. Une saveur acidulée et sucrée – un vrai régal. Le fruit n’a rien à envier à la noix elle-même!
À la base des chutes, nous atteignons notre destination. De l’eau écumante et des piscines d’un noir intense ombragées par une végétation de forêt impénétrable. Certains des hommes placent de longues flèches dans leurs arcs et pointent vers l’eau. Leur précision est impitoyable : chaque flèche atteint un poisson qui se retrouve rapidement sur la grille au-dessus du feu. Les enfants barbotent dans les piscines pendant qu’on prépare le dîner : poisson, pot au poivre, manioc.
Alton Primus, directeur touristique du village, veut me montrer les étangs en amont. Nous nous frayons un chemin à travers les rochers et une dense broussaille, et il nomme la plupart des plantes dans lesquelles je m’empêtre. En particulier la « waitaminute » (attends-une-minute), dont les épines s’accrochent dans les vêtements qui passent; après quelques pas, les branches pliées vous propulsent vers l’arrière en reprenant leur forme originale.
Alton, une véritable perle rare, me montre une piscine cachée, et nous sautons dans l’eau. Cette région ne peut être très différente de la savanne du Rupununi qu’Evelyn Waugh a traversée à cheval (probablement plus vite que nous!) il y a près d’un siècle. L’eau qui alimente cette piscine rocheuse est merveilleusement fraîche et entièrement transparente – quel délice. Alton m’informe qu’il vient de nommer la piscine « l’étang de Roger ». Je suis flatté, mais je me demande s’il a déjà donné d’autres noms à cette piscine à d’autres occasions? En même temps, je réalise que très peu d’Occidentaux, et possiblement aucun, ont déjà vu cette piscine cachée.
En retournant vers le groupe de villageois, je glisse et je me mets à saigner du doigt. Les villageois font appel à la médecine de village. Une femme coupe une toute petite branche d’un buisson qu’elle appelle « bloodwood » (bois de sang) et en enduit la sève sur ma coupure. La plaie est scellée immédiatement.
Sur le chemin du retour au village, nous nous arrêtons pour manger et causer. Nous parlons de plantes médicinales. Une des jeunes femmes mentionne la « Granny’s Backbone » (l’épine dorsale de grand-mère), et je lui demande à quoi elle sert. Après quelques ricanements et rougissements, elle m’apprend qu’il s’agit d’un « médicament pour hommes ». Ah bon.
Et puis, nous passons au travail…
Je suis dans le Rupununi afin d’étudier les possibilités de tourisme durable dans les collectivités autochtones. Je mentionne le « tourisme culturel », et après un long silence, une des femmes plus âgées se lance : « Mais nous n’avons pas de tourisme culturel ». Je suis estomaqué. Puis je lui raconte ce que j’ai appris au cours de la journée.
Je n’avais jamais vu de fruit de cajou ni goûté à son jus. Je n’avais jamais mangé de pain au manioc séché au soleil. Je n’avais jamais vu de matapee, en encore moins en action. Je n’avais jamais vu quelqu’un pêcher à l’arc. Par des pêcheurs qui n’ont pas raté leur cible une seule fois. Je n’avais jamais vu les crânes des animaux qui ont possiblement servi à préparer le pot au poivre. Je ne m’étais jamais fait soigner à l’aide de la sève d’un arbuste. On n’avait jamais nommé une piscine après moi. Et j’en passe.
Et finalement, j’ai dû admettre que bien que l’ambiance du repas que nous étions en train de partager me rappelait ma jeunesse sur un ranch en dehors de Kamloops, en C.‑B., bien peu de ces repas de jeunesse comprenaient un spectacle sonore offert par un ara bleu et rouge perché dans la forêt au-dessus de mon épaule. Et les volées de perruches traversant le ciel étaient plutôt rares.
Je leur assure que s’ils accueillent de futurs visiteurs aussi bien qu’ils m’ont reçu et qu’ils partagent autant de leurs vies qu’avec moi, alors ils ont la base d’une entreprise de tourisme communautaire durable!
Ma grand-mère disait toujours que « Rien de précieux ne dure pour toujours », et ainsi, cette journée enchantée a pris fin. En quittant, j’ai demandé à un groupe de jeunes adultes si je pouvais les aider d’une quelconque façon. Un jeune homme m’a répondu qu’il aimerait un pointeur laser vert pour montrer les oiseaux aux touristes lors des sorties dans la forêt dense (le rouge effarouche les oiseaux). Et je vous assure qu’il n’est pas facile de repérer ces oiseaux, qu’il voit pourtant si facilement. Une jeune femme m’a demandé un livre de cuisine pour sa mère. « Les Occidentaux n’aiment pas tous notre nourriture, et ma mère ne sait rien préparer d’autre. » Puis elle rajoute « Le livre pourrait être de seconde main ».
Donc, chers lecteurs, j’ai leurs adresses, et si jamais l’un ou l’une d’entre vous s’apprêtait à partir pour Lethem, faites-moi signe!
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